...Pourquoi Anna, l’aînée, essaie depuis toute petite déjà de manger avec les couverts, comme ses parents, tandis que sa petite sœur persiste à manger avec les doigts? Pourquoi un enfant aîné, quand vient une visite, reste à distance et observe, tandis que son petit frère tourne aussitôt autour du visiteur et lui parle sans gêne? Pourquoi un adulte premier-né se soucie d’être accepté, d’être reconnu et d’être respecté, tandis qu’un deuxième-né s’inquiète davantage qu’on le trouve sympathique, aimable et drôle et qu’on tient compte de lui?...
… Le premier enfant naît.
Il s’habitue à voir ses parents. Il est toujours en face des deux mêmes visages, celui de sa mère et celui de son père et tente alors de devenir comme eux. C’est avec eux en effet qu’il met en place la première forme de vie communautaire de son existence, une expérience indélébile qui l’accompagnera jusqu’à la fin de ses jours.
À ce stade, les seuls et uniques partenaires de l’enfant dans son foyer sont donc ses parents…
… Le deuxième enfant naît.
Il découvre trois visages, appartenant à trois personnes déjà habituées les unes aux autres. Deux sont des visages d’adultes, le troisième est celui d’un enfant plus âgé, l’aîné, avec qui il va bientôt jouer et se disputer. Cet autre enfant l’intéresse beaucoup plus que les adultes. …
… Il n’a pas uniquement deux adultes pour partenaires, mais découvre aussi un autre enfant, qui se tient entre lui et ses parents et l’en protège quelque peu. Ce monde des adultes perd ainsi de son caractère contraignant. Le second enfant semble mieux s’accommoder de la différence entre lui et les adultes. Il se tourne plus librement vers les objets environnants, partant à la découverte d’un monde de sensations …
… Le troisième enfant naît.
… Lorsque le troisième enfant arrive dans la famille, le partenariat polaire établi entre ses deux aînés est pour ainsi dire verrouillé. Il n’y a pas de place pour lui et il ne lui reste donc, au début, qu’à se tourner vers sa mère. …
… Souvent le troisième enfant est décrit comme le « chou-chou » de maman. …
… Des expressions comme le soleil de la famille, un enfant rayonnant, joyeux, rayonnant de joie ou encore plein de joie de vivre reviennent constamment dans les descriptions de troisièmes enfants.
… Alors que le premier enfant assimile les lois et les règles et que le deuxième ne s’y intéresse pas et les ignore, le troisième les contourne et louvoie entre elles…
* * *
… Cette répétitivité des formes d’expression de chaque position dans la fratrie me frappe d’autant plus lorsque je vois successivement plusieurs enfants du même rang de naissance. En effet, même si ces enfants ont des caractères et des tempéraments très différents qu’ils me sont amenés pour des problèmes de santé très variés et proviennent de milieux sociaux et culturels les plus divers, l’uniformité avec laquelle leurs parents en décrivent les formes d’expression caractéristiques, souvent en usant du même vocabulaire, est saisissante.
On voit donc que l’imprégnation à vie déterminée par une position donnée dans la fratrie n’entrave en rien l’épanouissement de l’individu…
* * *